Transit. Ma première idée fut celle-ci. Avant le départ, j’avais lu que ça chauffait méchamment dans le Nord du Mozambique. Des shebabs venant officiellement de Tanzanie sèment et entretiennent jalousement un climat d’insécurité vers Pemba et la province du Cabo Delgado. Les types sont déterminés, ils rasent des villages entiers… L’armée contrôlerait vaguement la situation néanmoins. Mmmh, je sais pas pourquoi mais je l’ai pas vraiment senti sur le moment. Peut-être que sur place, les avis seraient différents.

Enquête. Marina – vous vous souvenez? – fait tomber le sourire pour une fois. Ah Pemba! Sa voix se tordrait presque. C’est très beau là-haut mais il ne faut surtout pas y foutre les pieds. Deux géographes français, hydrologue et bio-écologue pour ne pas les citer, me préviennent. Ils ont beau vivre en Afrique depuis des lustres, ils ont beau avoir l’étiquette IRD collée sur le front, il ne leur est pas permis d’y aller assouvir leurs passions pour l’érosion des zones humides et le comptage des tournepierres à collier. Un copain à eux, pareil, pourtant il est un vieux briscard qui a tout vu de l’Afrique a priori. Le somalien fan de Chelsea croisé à Pambarra m’a averti aussi de l’inconfort de la zone… J’ai toujours imaginé la Somalie comme un des pires endroits de la Terre et un somalien me dit ça… Damn, en effet ce doit être sérieux.

Je serais définitivement bien avisé de contourner la zone pour entrer en Tanzanie. Regardons donc vers l’ouest… Tiens, le Malawi!

« Le Malaquoi ? »

Oui oui, le Malawi! Effectivement on ne sait pas vraiment ce que c’est. Personne ne sait vraiment où c’est. Personne n’en parle jamais. Quand on se penche sur une carte, on aperçoit un petit nabot ratatiné sur lui-même en train de se faire salement tassé par les trois mastodontes que sont ses voisins, Zambie, Mozambique et Tanzanie. Depuis la France, difficile de toper des infos sur cette petite frange de terre coincée entre son lac et des montagnes. Je l’avais effleuré en idée avant le départ, sans vraiment avoir essayé de me le figurer. J’avais juste lu qu’un bateau sillonnait le lac sur toute sa longueur. Transit, j’y entre et je passe vite fait en Tanzanie. Voilà le topo.

Quand on remonte le Mozambique, on croise forcément des gens qui font le chemin inverse. En même temps il n’y a qu’une seule route ou presque. Tous sont passés par le Malawi et tous sont unanimes. Il n’a pas l’air comme ça, avec son allure de chétif, mais il vaut vraiment le coup. Même des mozambicains le disent. Ceux qui l’ont vu ne racontent pas grand-chose, comme s’ils voulaient le garder pour eux – si ça leur chante, pourquoi pas? – mais tous ont adoré. Et tous m’invitent fortement à ne pas faire l’impasse. D’accord, je verrai.

Mon arrivée à Mandimba, après bien de routiniers cahots, n’est pas passée inaperçue. Oh purée, un Mulungu dans le patelin, il est sûrement là pour passer la frontière. La porte du chapa à peine entr’ouverte que tous m’aboient dessus pour faire du change ou pour m’embarquer sur leurs bécanes et me déposer à la douane. Pas de bol les copains j’ai passé un deal avec le pilote du chapa! Son pote ou son cousin, peu importe, me prendra en charge au terminus. Ce n’est pas grave, le chapa est escorté dans le village par de nombreuses motos où ont grimpé les agents de change qui espèrent bien rafler la mise. Cocasse.

Et le cirque recommence à peine descendu du bahut. Les uns m’agitent leurs kwachas sous le nez, les autres se disputent mon sac que j’arrive à sauver de la bataille. Oké les gars, on se calme deux minutes, j’aimerais juste pouvoir remettre mes genoux en place et fumer une clope tranquillement. J’ai du mal à me faire obéir. Je hausse la voix, m’assoit, allonge mes pattes, allume ma clope, savoure. Tous, postés à un mètre de moi, me regardent en silence et attendent les yeux gros comme le ventre. Drôle de scène.

Le douanier mozambicain s’étonne qu’il n’y ait pas de cadeau pour lui glissé dans mon passeport. Ma réponse en portugais ne le fait pas insister. Le pote ou le cousin motard essaie de m’extorquer un peu plus que le prix initial. Ça le perturbe que je puisse me défendre en portugais, il rengaine sa combine. Allez salut le Mozambique, en moins de six kilomètres vous avez réussi à me fatiguer.

Puis arrive le Malawi. Le douanier sourit. Ses collègues aussi. Tous me souhaitent la chaleureuse bienvenue. Les types, ils sont trois, qui m’ont vu me pointer ont attendu que j’obtienne mon visa pour me solliciter. Je veux aller à Mangochi, ils me montrent à qui je dois m’adresser. Ismaël conduit un taxi collectif. Il est tout sourire, on me laisse la place du mort… Après quelques kilomètres, contrôle de police. Le flic me sourit à pleines dents, examine mon passeport. « Oh France! Bonjour! Comment ça va? » Il me sert la main quand nous repartons… La vache, j’ai changé de dimension, je suis au Malawi.

Plus de trois semaines ont passé et désormais je comprends mieux le vague des réponses croisées en chemin. Le Malawi ne se raconte pas ou alors si difficilement. Non pas qu’il n’y ait rien à dire, au contraire, mais faire un résumé de mon séjour se révèle être plus une gageure qu’autre chose. Par quoi commencer? Par où commencer? Que raconter? Que dire à part d’y aller? Comme si ce pays s’insinuait dans les têtes, ordonnait de nous taire pour mieux protéger ses richesses et les réserver à un public d’initiés.  Comme par hasard, j’ai pris très peu de photos pendant trois semaines. Il faut le voir, tout simplement.

Ce pays est un couloir qui épouse à la ligne près la gigantesque vallée du grand rift. Saveur particulière des formations géologiques remarquables. Levez la tête, tournez un peu et toujours vous aurez un massif entier ou une jolie montagne isolée qui s’offrira à votre vue. Les pentes sont souvent douces, les sommets arrondis, le vert qui les recouvre volupté. Le chaos qui les a vus naître s’est apaisé avec le temps et cet apaisement est contagieux. Les flancs recouverts de caféiers, les jaunes sennas et les rouges tulipiers du Gabon qui arborent leurs floraisons comme d’incandescentes torches, les euphorbes éclatants comme des rubis et les hibiscus en fleur. Comme un immense jardin recouvert de senteurs. Pour un peu que vous preniez un peu d’altitude et que le lac étale sous vos yeux son bleu si intense… Luxe, calme et volupté comme aurait dit l’autre.

Et ces nuages! Ces nuages, j’en ai envie d’être grossier! Kessel écrivait que les plus beaux nuages du monde se trouvaient en Ouganda. J’attends de voir. En attendant, ceux du Malawi sont fantastiques. Les développements verticaux, les effets de couloirs. Ils remplissent le ciel de leurs formes multiples, cotonneuses, sereines. Ils jouent avec le terrain, recouvrent une rive du lac pour mieux faire admirer l’autre, épousent ses contours pour faire les beaux. Et chaque soir, c’est son et lumière. Les masses sont devenues grises et s’illuminent d’éclairs. Là-haut, on croiraient qu’ils s’amusent entre eux à jouer aux ombres chinoises sur le vert des pentes. Comme de grands enfants planant à des hauteurs célestes. La vache que c’est beau! J’attends l’Ouganda avec impatience…

La merveilleuse nature a déteint sur celle de ses habitants. Partout, une rue déserte à la tombée de la nuit, un marché fréquenté, une file d’attente dans une banque, ici, les gens te saluent. Quand ils te croisent ils s’arrêtent pour prendre de tes nouvelles, pourquoi pas faire un peu de chemin avec toi tout en taillant le bout de gras. Oké, je les ai vus au Mozambique les gus qui viennent te causer, ils ont toujours l’idée d’un peu de pognon à soutirer dans un coin de leurs caboches. « Pas chez nous, Monsieur! » répondrait un malawite. Les gars ont juste poussé l’art de la cordialité à son point culminant. Et pas question d’argent, ou alors la tournée est pour eux comme Juby à Liwonde ou ils t’offrent le gîte (on l’a vu avec Ruth).

Les exemples sont nombreux et s’il fallait en retenir qu’un ce serait mon voisin pendant le trajet entre Zomba et Monkey bay. On est monté au même arrêt et voir flotter dans son costume un si grand dadais à la tête allongée me le fit figurer dans un casting pour le rôle du majordome de la Famille Addams. Justin, vivant au Mozambique et allant rendre visite à sa frangine. Il engage la conversation bien sûr. Je suis le premier français qu’il rencontre dans sa vie, il est jouasse comme pas deux. Son emballement est tel qu’il me confie qu’il est fan de l’OM… Ho ho, on se calme bonhomme, je viens de te dire que je suis parigot! Il sait sa géographie par cœur, connaît les remous politiques et les dessous économiques de l’Europe comme sa poche. Après deux heures, j’étais invité au Zimbabwe lors d’un prochain voyage. Je l’ai recroisé deux jours plus tard par hasard dans Monkey Bay, sa grande main ne voulant pas lâcher la mienne. Enfin, je venais d’embarquer sur le Ilala. Assis sur le pont supérieur, je tourne la tête et qui est là? Justin, bien sûr! Il était juste monté à bord pour me saluer une dernière fois et me souhaiter bon voyage. Et à force de palabres il a bien failli se transformer en passager clandestin. Justin, masterclass.

Madaritso, la gardienne de la Wvaza Reserve qui quitte son poste pour papoter tranquillou pendant que j’attends mon moto-taxi après un walking safari bien raté. Le patron du Craft Coffee Shop de Livingstonia, intarissable sur l’histoire de cette ancienne colonie fondée par des écossais et de celui qui lui a donné son nom. Mes maigres connaissances botaniques lui doivent beaucoup également. Ce bon vieux Bishop, barman à la Mushroom Farm, dont j’ai été le collègue le temps d’une soirée. Et comme ça jusqu’à la frontière tanzanienne, engagé sur un débat où il était question de gilets-jaunes et de décolonisation avec les occupants du taxi collectif… Et tous les autres…

Et tous ces mômes, leurs voix qui transpercent l’air de leurs « Mzungu! Mzungu! » retentissants. Ils courent vers vous, vous tiennent par la main, vous montrent des raccourcis, enchantés de faire un bout de chemin avec vous. Le Malawi m’a atteint: ils sont trop mignons; on a envie de les kidnapper.

Depuis son indépendance, le Malawi n’a jamais été impliqué dans un conflit, intérieur ou avec ses voisins. Ce doit être une exception dans l’histoire post-coloniale, la fierté de ses habitants, une réputation à défendre, une chaleur à entretenir, comme une mission sacrée où chacun aurait un rôle à accomplir.

Et savez-vous comment se surnomme le Malawi?

« Warm heart of Africa »

Putain, tu m’étonnes!