Quai numéro 2, gare de Donostia, 9h30, un train de la Renfe, antique, déglingué, usé jusqu'à la corde entre en gare. Il n'a que deux wagons et un chef de train avec une tremblotte inquiétante. On n'est même pas une dizaine dans la voiture. Départ à l'heure.

Tout d'abord s'extirper de ces labyrinthiques massifs basques. Lentement, comme à tâtons, il louvoie le long de vallées pas si riantes, serpente entre des blocs d'austères collines qui semblent impénétrables. Des conifères en rangs serrés en gardent farouchement les sommets. Des pics enneigés finissent de clôturer l'horizon. Au fond c'est lugubre, on traverse des villes industrielles en semi-déclassement. Des cheminées crachent encore (sans doute des papeteries dans ce pays d'eau et de bois) mais cela ressemble à un dernier sursaut d'orgueil.

Puis on croirait que le train a retrouvé d'un coup son chemin. Il aborde un large plateau et s'élance à toute vitesse. Vitoria est atteinte rapidement. Hélas pour notre pauvre train, c'était oublier un instant ses vieux os. La gare suivante lui est fatale ou presque. Une grosse demi-heure d'intervention plus tard (la machine qui souffre aura poussé des cris effroyables au passage), nous voilà repartis vers des paradis de vélocité sénatoriale et de ménagements ferroviaires. Là aussi, la campagne "avec ses chemins qui ne mènent nulle part" semble aussi livide que chez nous. Et la lenteur du tortillard rend tout ça encore plus désespérant.

Palencia est enfin atteinte aux prix d'efforts gigantesques quand on entend la machinerie depuis l'intérieur. Au moins mon heure de correspondance n'aura duré que cinq minutes à peine, il faut voir le positif.

Quai numéro 1, gare de Palencia, 13h35, un train de la Renfe, rutilant, brillant sous le soleil de la Meseta, fier comme Artaban entre en gare. Pareil, deux wagons seulement. On n'est pas bien nombreux dans celui-ci non plus. Départ à peu près à l'heure.

Là, on se dit que ça va filer droit, c'est plat, c'est une magnifique ligne droite jusqu'à Salamanque via Valladolid, le train a l'air en forme, formalité. Nenni.

Je crois n'avoir jamais autant souffert pour une machine. On l'entendait grimper dans les tours, avec un bruit de soufflerie malade. Celui-ci montait et descendait en cadence mais la vitesse restait la même, prudente. Comme un rapport qui ne voulait plus passer et un pilote qui insiste et qui force pour retrouver de la reprise. Parfois ça se débloquait comme par magie, alors on se disait que c'était gagné mais dans ces moments-là, le train donnait l'impression d'une voiture avec un pneu crevé. Flap flap flap flap flap, avec le cahot qui va avec. Si bien que l'on revenait à des allures plus conformes aux capacités de la bête, modiques et circonspectes.

On se dit que jamais Salamanque ne sera atteinte, avec cette célérité d'escargot, ces arrêts dans des bleds impossibles (Medina del Campo, Cantalapiedra, El Pedroso de la Armuña...) et ces râles sonores et éprouvants.

Bref, relier Donostia et Salamanque par le rail, c'est un peu l'aventure qui commence plus tôt que prévu. le rapport temps/distance n'est déjà plus le même et se rapproche plus des canons Sud-Am ou Africains. Et le premier qui crache sur la SNCF à mon retour, je lui dirai d'aller toper un train en Espagne!!