J'aurais pu parler de Salamanque, de ses orgueilleux monuments, de sa pierre qui prend si bien le soleil. J'aurais pu tout autant évoquer cet Angleterre-France lamentable après lequel un dénommé Alberto m'a prouvé qu'il était l'alcoolique le mieux informé au monde de ce qu'il éclusait. Mais non.

Je ne vous raconte pas non plus la route qui m'a conduit à Lisbonne sous un bleu profond, cette Beauce à l'espagnole où les oliviers font office de platanes, ni ces terrains accidentés jonchés d'éoliennes, ces modernes moulins, quand on quitte la Meseta et qu'on plonge vers la plaine du Taje. Pas plus de Jaime, sévillan habitant le Var, formé à la charpente marine à Douarnenez, en chemin vers un chantier naval lisboète.

Pur hasard, je suis descendu à Lisbonne Praça Luis de Camões. L'immortel poète des Lusiades, perché sur une monumentale colonne, semble protéger les portugais dont il a chanté les historiques exploits. Dans cette ville accrochée comme Rome à ses collines, l'appel du large est partout. Bartolomeu Dias, Vasco de Gama, Cabral, tous sont partis de là. En m'envolant pour le Mozambique, je profite d'une certaine manière de leurs exploits passés.

De là à me croire moi-même comme un hardi explorateur, il y a un fossé que je ne me permettrais jamais de franchir. Cela-dit, ce billet pour Maputo semble la chose la plus insensée que j'ai entreprise jusque-là. Je n'aurais jamais dû potasser Hérodote, lire le Magellan de Zweig, la relation de Pigafetta, les journaux du Capitaine Cook, les voyages de Humbolt, les expéditions de Rhodes, Livingstone, Stanley, Brazza... Voilà qu'à mon échelle je marche sur leurs traces. Je n'ai dans mon attirail ni cupidité, ni soif de conquête, ni Bible, ni fusils, ni eau-de-vie, ni l'intention de botaniser ou de cartographier. J'aimerais juste avoir à penser ce qu'ont bien pu ressentir tous ces types en voyant pour la première fois les endroits qu'ils ont abordés. Ça parait con, je sais. C'est con un vieux rêve.

Comme eux, je ne sais quand je refoulerai le sol de cette chère vieille Europe et comme eux je suis précédé par un cortège de questionnements. Mieux vaut ne pas y penser et se laisser guider par le cours des choses. J'y reviendrai sûrement plus tard ; mon voyage commence maintenant.