Il y eut une première nuit, il y eut donc un premier matin.

Le ciel est bouché sur l'estuaire de l'Umbuluzi, le gris du ciel semble donner naissance aux piles de l'imposant pont qui clôt le cadre vers l'ouest. Quelques tours dont une en construction ponctuent la vue qui embrasse vers le plein sud. The Base Backpackers, en plein cœur de la capitale mais loin de son brouhaha qu'on devine reprendre vie en contrebas.

Réveil en douceur, température clémente, café chaud.

Il est bien trop tôt pour qu'il y ait déjà quelqu'un à la réception. Une voix m'interpelle en anglais. Si je sais à quelle heure elle ouvre? Pas le moins du monde... Si je suis anglais?... Non, français. Ah nous allons donc pouvoir causer en Français.

L'homme doit avoir une cinquantaine d'année, un accent qu'on devine provençal, et un petit reproche à l'endroit. C'est bien un français. Les douches ne sont pas terribles, sa chambre était moyenne et puis personne ne parle anglais dans cette foutue turne. Lui qui vient de parcourir la Namibie, le Botswana et une partie de l'Afrique du sud, le voilà fort désappointé de s'apercevoir que le Mozambique est une ancienne colonie portugaise.

Capilairement, il s'approche de Vassili, un russe qui dort ici et dont j'avais fait la connaissance la veille. Une grande touffe de cheveux bouclés. Bref, l'homme est ravi de causer en français et il a des choses à raconter.

Très vite, on s'aperçoit qu'il a une dent contre les communistes. C'est bien, selon lui, que ce pays soit repris en main après trente ans de socialisme. On sent qu'il aime l'ordre. Les écoliers ont des uniformes, ça prouve le sérieux. Le redressement est en marche au Mozambique, le capitalisme peut triompher. Le temps de lui rappeler que l'uniforme n'est pas spécialement néolibéral mais bon.

Quelques histoire de safaris plus loin, le voilà qu'il entre dans le vif du sujet. L'homme n'est pas un braconnier, ni un chasseur. Il consomme. Il a l'air déçu par Maputo, car dit-il c'est mort le soir. Encore une avanie du Marxisme-Léninisme, les gens ne sortent pas, ne font pas la fête, partout règne la tristesse. Saloperie de rouges. Le temps de lui expliquer qu'hier soir, sur l'Avenida 24 de Julho, j'y ai vu des bars, des restaurants, du monde, aucun signe extérieur de menace. Et qu'hier après-midi, la rua Bagamoyo, vers la gare, m'était apparue comme l'endroit idéal pour ce qu'il recherchait. Déjà en début d'après-midi l'ambiance y paraissait électrique.

Ah, le voilà rassuré d'un coup. Et en plus si c'est sécure. Lui qui a toujours un surin glissé dans sa poche, prêt à le sortir en cas de roussi. Monsieur aime être précautionneux. Il me parle de distances de sécurité, de changement de trottoirs, de vigilance accrue. Il va aller s'acheter un taser mais craint d'être emmerdé à l'aéroport avec son arsenal. L'homme parle comme un ancien de la coloniale, il est allé plusieurs fois en Afrique. Il connaît bien la fils-de-puterie de tous ces noirs. Heureusement, il suffit de deux ou trois gifles pour faire rentrer dans le rang le moindre monte-en-l'air. En somme, les africains sont des baltringues dans la très grande majorité. Il concède qu'en Afrique-du-Sud, il ferait sans doute moins le kéké en cas de braquage.

Cependant on lui enlèvera pas de l'idée que c'est scandaleux et déshonorant pour l'homme blanc qu'il est d'être la cible de tentatives de petites arnaques, que ce soit les douaniers, les vendeurs, bref tous ces noirs qui peuplent l'Afrique. Le temps de lui rappeler que la misère est la cause de tout, que le monde occidental est la cause de cette misère, et qu'il est de bonne guerre de vouloir la faire à l'envers aux touristes. Moi-même, lorsque je travaillais à Opéra, je lui explique que lorsqu'un américain ou un russe prenait place, le but était de les soulager au maximum de leurs thunes. J'apprends ainsi qu'il travaille à Saint-Trop' et qu'il fait exactement la même chose. Salopard de faux derche.

L'homme est loquace et paraît nerveux, comme un type en sevrage. Il tripote sans cesse et fiévreusement ses clés, son téléphone, les change de place pour les remettre à l'endroit précédent deux minutes plus tard. Il se lève, se rassoit et ainsi de suite. J'ai connu des matins plus sereins.

Au fil de ses histoires, de ses itinéraires et considérations, le mot "putes" est celui qui revient le plus souvent. Des taxis dont il s'est offert les services un peu partout l'ont souvent conduit aux putes. Ho la la, il n'est pas du genre à manger de ce pain-là. Mais bon, si je veux, ce soir entre minuit et deux heures il part faire la tournée des grands ducs. Il est prêt à me faire profiter de l'occasion.

Nous y voilà! En vrai l'homme est là pour ça. C'est donc un consommateur effréné. C'est bien l'Afrique, les filles ne sont pas chères. Il y a peu à Tofo, une fille pour vingt balles lui a offert tout ce qu'une femme peut offrir à un homme, les caresses et tout. Mais attention hein! ce n'était pas une pute. Le temps de lui rappeler que ça reste de l'amour tarifé. Oui mais c'est pas pareil, celle-là c'était pour foutre du beurre dans ses épinards. C'est l'occasion qui fait la laronne, quoi. A l'entendre ce serait presque de la philanthropie, il dort chez l'habitant, donne de l'argent à la famille du coup, enjolive en quelque sorte la misère crasse dans laquelle ces braves gens se trouvent. Bref, c'était tellement bien avec cette pépée qu'il se l'est réservée pour ses nuits suivantes. L'homme est même quasi amoureux car il veut la faire venir à Maputo, le cabotin.

L'homme a voyagé. Il connaît bien la Caraïbe, il va deux fois par an à Cuba. Il adore Saint-Domingue. Ce sont les meilleurs endroits pour s'amuser, enfin pour trouver des putes on s'entend. L'Amérique centrale, putain de morale judéo-chrétienne, ce sont des culs serrés, pas moyen de rigoler. Il s'est fait chier, rien de bon à publier dans son Guide du Crevard. Mais Cuba, c'est une terre bénie. Le temps de lui rappeler que le pays est communiste et que les gens sont rationnés. Oui mais l'école est gratuite, la santé est gratuite, les logements sont gratuits et que nulle part ailleurs sur Terre il n'a vu de gens aussi heureux de vivre et de filles aux jambes légères. C'est formidable!

Bon, il a clairement divagué sous le coup de l'émotion. Il s'est repris, ça reste des putain de cocos, avec un salaire mensuel de 15 dollars et des files d'attente devant les magasins, avec des flics et des militaires partout, que c'est comme la Corée du Nord, que sur le Malecon, un gars avec une canne à pêche = flic, un type avec une guitare = flic. Bref, on oppresse et on affame le cubain et ça le révolte. Heureusement il connaît bien et il a les combines pour l'illégal (loger chez les putes, on est d'accord).

Il revient sur l'Afrique, son cheval de bataille, avec d'autres avis précieux sur ces fourbes de chinois qui la néo-colonisent en y mettant moins de respect de l'humain et de goût pour l'altérité que nous à l'époque. Ces coquins ont en plus le don malsain de l'entre-soi communautariste. Pour preuve, ils font même venir leurs tapins. Ce détail le fait marrer. Petit bémol tout de même elles sont moches et ont plus de vingt ans, et ça, c'est pas recevable. Enfin il conclue avec quelques précisons éclairantes sur les Antilles françaises et tous ces noirs racistes et ces filles méfiantes qui vivent au crochet de l'état. "L'état-providence ça va deux secondes."

Tout en me demandant des nouvelles et mes opinions concernant les gilets-jaunes, il me propose qu'on déjeune ensemble ce midi.

J'en avais trop entendu, j'ai refusé poliment.

Toute ressemblance avec une personne existante et les propos qu'elle a tenus n'est absolument pas fortuite.