Cette plage a eu un rêve.

Impressionnante, longue, large, avec un horizon qui court sur le bleu intense de l’Océan Indien et un sable mordoré, elle s’est dit qu’elle était suffisamment belle pour séduire. Pas de doute, elle l’est.

Praia do Xai-Xai, 9h. Le soleil qui est matinal dans ces contrées est déjà haut et ses rayons, voraces. La plage étend son cordon vers les deux directions de l’infini. Un fort vent souffle depuis le large et la mer gronde en de furieuses vagues. Pugnaces, elles viennent se fracasser contre une barre de rochers. Rectiligne, on croirait voir la main de l’Homme derrière cet ouvrage.

Cette plage a eu un rêve, peut-être de mettre à disposition un rivage abrité des fureurs de l’Océan. Lagon qui n’aura jamais pris, les vagues contournent, sautent par-dessus, se déversent avec une avidité accrue. La nuit a sûrement été violente, des méduses par centaines jonchent l’estran, rejetées et laissées pour mortes par la marée et le vent.

Voici le cœur de la station balnéaire. Le bord de mer est un mélange composite de maisons presque coquettes, de gargottes vides et de bâtiments vétustes. Au centre du cœur, une longue bâtisse en U, plein pied sur la plage, deux étages de larges fenêtres et de fiers balcons, âge d’or de béton, regarde la mer comme un vieux rêve. Les murs délavent un gris mélancolique qui fait tâche au milieu de ces bleus et ce jaune. Deux ou trois graffitis, décrépitude absolue, abandon total. Un fantôme en bonne et due forme.

Côté ville, tout avait été pensé pour faire de cet hôtel le fleuron de la station balnéaire. Un perron couvert, une fontaine, une fresque stylisant les grandes heures de la navigation portugaise, des espaces verts. Sans doute était-il le centre d’un ambitieux projet d’urbaniste, donnant sur une large place. Au centre de cette dernière dévale un escalier monumental, bordé d’immenses cocotiers, tout en symétrie. L’alternance de paliers aux marches concaves et convexes donne l’impression que le tout s’affaisse, vieillard voûté par les ans. Au sommet, une église montre le bout de son clocher.  

Sauf que. La large place ressemble à un terrain vague, ceinturé par des murs défraîchis et des toits de tôle. Quelques types regardent les heures défiler et des chèvres cherchent de l’ombre. L’escalier remplit encore sa fonction initiale mais le décorum est rongé par les failles et le temps, des débris en tout genre et une végétation rampante, royaume pour lézards.

On croirait qu’une guerre est passée par là, c’est sûrement le cas d’ailleurs.

Là-haut, même l’église semble en sommeil, elle est pourtant choucarde toute de rouge et de jaune vêtue. Des chemins de terres abritent le village. Des gamins sortent de l’école, des femmes et leurs nourrissons attendent devant le dispensaire. En retombant sur une route bitumée, on aborde le quartier chic. Deux ou trois maisons offrent à la vue leurs jardins ou le bougainvillier règne en maître. Malgré tout du béton rongé succède bien vite aux deux ou trois façades colorées. En redescendant vers la plage, on retombe vite dans les affres des songes de grandeur. Des types me tombent dessus pour placer leurs camelotes comme si j’étais le premier touriste aperçu depuis des lustres. Je suis le seul dans le camping où je dors, le backpacker où je m’arrête pour boire un coup est désert. Voilà la praia do Xai-Xai qu’on m’avait vantée.

Bien sûr, des infrastructures pour touristes existent. De nombreux panneaux à l’entrée du patelin en signalent l’existence. Mais le touriste est comme les mirabelles ou les Saint-Jacques, il y a une saison, elle est courte et j'ai mis les deux pieds en dehors. En août et en décembre, c’est la folie dans le bled à ce qu’il paraît.

Cette plage tient donc toujours à son rêve.