Rapide description de la sympathique équipe du jour.

Aurélie, une petite lyonnaise qui parle fort. Zach, un tout jeune australien qui marche sur les traces de son père. Soha, une perso-teutonne de 19 piges sur le point d'achever une année entière en Inde. Santosh, un malais, sosie bucco-dentaire de Ronaldinho.

Me voilà embarqué avec eux. A priori, le temple de folie qui trône au centre de Madurai est fermé, Aurélie et Soha sont formelles. Nous partons donc visiter ensemble le Palais. Un bien joli palais ma foi. La journée est belle. Madurai est enveloppée dans la poussière et la suffocation. Elles en sortiront noires de crasse mais je suis tout de même bien content d'avoir les jambes à l'air.

Une fois sortis du palais, on se balade gentiment. On se paye des tournées de chaï. On accompagne Aurélie choisir un sari pour le mariage auquel elle doit se rendre dans quelques jours. On s'offre des samossas. On papote tranquillou. Stop à la poste pour que Soha envoie son courrier. Malgré le vacarme des rues, la vie est tranquille en ce début d'après-midi.

Puis, bon an mal an, par le hasard des rues affairées, nous arrivons devant le fameux temple de folie. Sri Mînâkshî, tel est son nom. De hautes gopurams se dressent au-dessus d'une large enceinte. Le puissant soleil de l'après-midi donne en plein sur les couleurs des milliers de figures fantasmagoriques. L'effet est aveuglant et plein de promesses.

À première vue, il n'est pas du tout fermé ce temple. À moins que les gens qui y entrent et qui en sortent soient des VIP... Ça sent encore une info bidon lancée par un indien facétieux. On se regarde. L'occasion est belle, on est devant, on ne va pas en rester là.

Oui mais feuque ce n'était pas prévu. Je vais mollets nus. L'entrée du temple m'est de facto interdite. Zach aussi est en bermuda mais l'australien est plus malin. Il trimballe dans sa besace un tissu qu'il noue autour de sa taille. Ses jambes sont couvertes. Je suis le seul flan de la bande désormais.

Heureusement pour moi, SuperIndien n'est pas loin. Grâce à ses puissants capteurs sensoriels il a deviné mon désarroi grandissant. ll a bondi hors de sa boutique de souvenirs et vole à mon secours. Il m'invite à le suivre dans son magasin. Le type possède tout un stock de dothis qu'il prête de bon cœur aux négligents comme moi.

SuperIndien, avec sa poigne de super héros, a noué l'étoffe autour de ma taille. Il l'a serrée comme un forcené et le tissu entrave mes jambes. Je ne peux plus faire que des pas de trente centimètres. Pas tellement commode ni facile au commencement. Je ne vais pas me plaindre, il m'a sauvé la mise et je peux désormais pénétrer dans l'enceinte du temple. Merci SuperIndien!

Trois consignes se tiennent à l'entrée. La première pour les chaussures. Rien de plus normal. La deuxième pour les sacs. Oké, pourquoi pas? La troisième pour les téléphones. Et ça, c'est vraiment sans pitié pour les gens du cru. Comment vont-ils faire les selfies dont ils sont si friands? Au moins, aucun de nous ne sera emmerdé par des pénibles avides de poser avec des occidentaux. Toujours ça de pris.

L'enceinte extérieure franchie, une large allée nous accueille. Elle contourne le temple. Une tour dont le sommet recouvert d'or signale l'emplacement des deux sanctuaires. Un pour pour Mînâkshî, avatar de la belle Pârvati, l'indépassable suprême féminin. L'autre pour son époux Sundareshwaram, avatar du puissant Shiva. On n'est pas là pour la déconne, ils sont interdits aux non hindous. On se contentera des salles attenantes.

Dommage, j'aurais bien rajouté un petit chapitre aux pratiques hindoues. On m'avait causé des tamouls comme les plus délirants dans la pratique de leur culte. Je suis sûr d'avoir loupé un spectacle de malade. J'aurais dû tenté ma chance, j'étais sapé comme un adorateur de la Trimurti après tout... Personne n'aurait été dupe cependant vu les regards jetés sur ma dégaine et ma face.

Donc, mes camarades et moi pénétrons sous un porche monumental ouvert sur le bassin sacré. Son eau qui dort d'une eau profonde repose sous la surveillance tranquille des gopurams aux mille couleurs. Les fidèles se tiennent quiets dans leur file d'attente. Ils savent que bientôt ils salueront l'immortalité.

Le dallage est robuste. Les colonnes sont puissantes. Le statuaire envoie déjà du bois. Des histoires mythiques, des dieux armés, des animaux fantastiques, des démons. Les nez vont en l'air. Partout des prises pour les yeux. Les mains touchent l'ancestrale pierre. Les pieds aspirent les énergies. La foule est nombreuse mais feutrée.

Nous entrons alors dans une salle aux dimensions grandioses. De grandes statues noires y regardent l'éternité déambuler entre les colonnades. Partout il y a du Shiva qui laisse traîner son trident. Il y a un bon vieux Nandi orné de colliers d’œillets oranges et drapé de jaune. D'autres dieux encore prennent la pose autour de l'or d'un mât immense, se vêtissent à l'occasion, les yeux baissés vers ces flammes qui dansent pour eux.

Les croyants vont de représentation en représentation dans un silence dévot. Ils joignent leurs mains, saluent humblement, agitent faiblement leurs lèvres, embrassent du bout des doigts, déposent du feu, caressent la chaleur et vont la répandre sur le crâne. Hautement sacré, l'endroit affiche l'austérité réglementaire des circonstances. Peu importe, il est chaudement éclairé par l'esprit. Le jaune et le orange irradient l'atmosphère. Des rayons tombent du ciel. La grâce de Shiva bénit tous ses adorateurs. Et les oreilles boivent chaque seconde de silence.

Toute notre bande louvoie entre les bienheureux. C'est finalement bien un dothi qui brime les pas. Nos démarches ont la vitesse de l'escargot et l'algorithme des pigeons. On ne pipe rien ou presque de ce qu'on voit. On ne fait pas les arrogants non plus. Quelque chose qui nous dépasse a pris forme au-dessus de nos têtes et nous surveille. Nous le savons. En tout cas, on veut bien y croire.

Puis vient une longue galerie latérale. Combien de colonnes dans cette nouvelle salle? Un certain nombre. Les bâtisseurs étaient bons dans le pylône. Ils allaient pas se priver. Des corps de lion y sont sculptés en une vertigineuse série. Les créatures regardent passer les cons avec la curiosité du chat et la sagesse de l'éléphant. L'endroit sert de dortoir aux chauves-souris. Zach en bon homme du bush les a repérées le premier.

Premier pic dans le spectacle. Une bon gros Ganesh trône sous un pavillon, isolé dans sa majesté. Je ne saurais dire pourquoi mais je le kiffe cet éléphant. Avec sa défense pétée et son gros corps de pachyderme, il a vraiment une bonne ganache. Je m'arrête, proche de l'obédience. Et je scrute les ceux qui se prosternent.

Les adorateurs s'approchent; on s'attend au rituel conventionné. Et bim, une grosse feinte de taré se produit. Génial! Les fidèles toquent plusieurs fois leurs tempes comme si elles étaient des portes. Puis, de la main opposée, ils saisissent leurs esgourdes par les lobes et exécutent ainsi trois légères et prestes génuflexions. J'arrondis les yeux. Ben merde, elle est pas banale celle-là! Ça sort d'où? C'est à la fois grotesque et gracieux, touchant tant c'est inattendu.

Nous faisons comme ça le tour du temple, cernés par les ornements des piliers et des statues bienveillantes. On se paye même un deuxième tour gratuit. La lumière a entamé son déclin. L'air est léger de silence. Des volées de pigeons se font des kifs autour des gopurams. Leurs mille couleurs se prélassent dans les rayons qui s'en vont rasant. Pour une fois je rêve d'être un des leurs.

Nous sommes assis sur les marches qui descendent au bassin sacré. Les gens circulent tout autour. On s'assoit. On papote du bout des lèvres. On savoure la beauté sereine du lieu. On vient manger des beignets qui sont bénis avant de vivre leurs sorts. La lumière des gopurams est merveilleuse. Les battements d'ailes lointaines chatouillent les silences de l'air. Magnifique et puissant!

Un deuxième mât, immense et d'or, pointe vers l'azur. Au milieu d'une nappe sans un pli, il montre le chemin du ciel. Assis un peu à l'écart des autres, j'ai pu ainsi évoquer le souvenir de mes glorieux anciens, ces chers disparus. Leurs âmes sont venues danser autour du lumineux totem puis sont reparties vers l'infini du monde. Les gopurams sont toujours plus belles au fil des minutes. Le bleu du ciel est d'une poétique si parfaite. Ces satanés pigeons semblent jouer avec les esprits des statues. On se sent enveloppé, confortable. Le repos est unique.

Mais il faut bien entamer le chemin du retour. Nous quittons ce formidable temple à reculons. Nous faisons la boucle de l'enceinte. Admirer une dernière fois ces portes aux mille figures. Quel putain de calme! Madurai est parmi les plus bruyantes que j'ai visitées. On est en plein cœur de la ville et on n'entend rien d'autre que les froissements du soleil qui prépare sa couche. C'est magique!

On zigzague. On s'arrête. On se meut avec lenteur. On s'assoit encore. On touche les quelques arbres nourris à l'ambroisie locale. On déclenche une dernière fois les rétines. On respire, nos poumons ne seront pas là tous les jours. On déguste jusqu'au bout, nos âmes ne reviendront pas de sitôt. On hésite une ultime seconde devant la sortie. Le lieu nous tient des pieds à la tête.

Oui m'sieu! D'accord m'sieu! Si je suis un jour à moins de mille kilomètres d'ici, je repasserais dire bonjour.