Zanzibar-Mascate: 5h30 de vol, une paille quand on s’est payé des bus africains pendant 4 mois et demi. Mascate: deux bonnes heures d’escale, tranquille. Mascate-Mumbai: 2h40 de vol ou un truc du genre, départ à 2h20, arrivée à 6h30. Je savais que la nuit allait être courte. Mon voisin l’a anéantie.

Un petit gros frisé qui n’arrêtait pas de tchiper. Quand je me suis assis, il a tchipé, rêvant sans doute secrètement à une jolie suédoise en guise de voisine. Parce qu’Oman Air mettait du temps à faire fonctionner les écrans destinés aux voyageurs, il a tchipé. Parce qu’il voulait de la flotte à tout prix, il a tchipé, probablement que le steward avait plus urgent à faire à ce moment-là. Une fois les écrans fonctionnels, il a tchipé, peut-être que la sélection de films ne lui convenait pas. Les annonces de sécurité lancées, il a tchipé, contrarié de devoir interrompre son programme par défaut. Ben mon vieux, si tu fais ça pour tout et n’importe quoi le temps du vol, ça va être gai…

Heureusement, tout cela n’a pas duré bien longtemps, il s’est endormi aussitôt l’avion décollé. Haaa, je vais pouvoir me relaxer. Perdu! Il ronfle l’animal. Et puis bien! Comme un vieux cochon rhinopharyngitique. Ha le sagouin! J’ai soudain vu Stanislas Lefort devant mes yeux. J’ai bien tenté de siffler pour apaiser ses sonores grognements d’ongulé. Raté. Je n'allais quand même pas latter de coups le dossier de son siège... Ça faisait bien ricaner les indiens autour, en tout cas. Je repasserai pour la nuit…

Arrivée pluvioteuse à Mumbai. J’ai les yeux un peu creux, c’est certain, est-ce la raison pour laquelle ils n’ont pas réussi à déterminer la couleur des murs? Couverts de moquette c’est sûr mais la couleur… un truc entre le marron et le violet? La lumière blafarde de ce petit matin n’aide pas non plus. Tout de même, ça gratte un peu la cornée après une nuit blanche. Des couloirs, un douanier perplexe parce que je ne ressemble plus vraiment à mon passeport, un sac, un changement de terminal en taxi pré-payé, une folle envie de sécher mon vol pour Goa et de commencer ici, à Mumbai, me raviser.

Terminal de Santa Cruz, celui pour les vols domestiques, entrées filtrées par des militaires, pas question de ressortir pour fumer une clope… Ben mon vieux, ils sont méfiants par ici… Allez, tout le cirque recommence. Il faut réenregistrer bagage, repasser par des portiques à la con, se faire scanner par un agent, puis se faire fouiller au corps. Il marche pas votre matériel pour que ce soit aussi poussé ou quoi? Ça fleure bon la parano en tout cas.

Quelques heures plus tard, Goa. Et ça commence par un classique, une constante. Les gens attendent bien sagement que le tapis roulant veuille bien se mettre en branle. J’ai l’œil distrait, je sais bien que mon sac arrivera dans les derniers comme à chaque fois. J’aimerais vraiment, un jour, voir une de ces gueules sans âme cracher mon paquetage rapidement, plutôt que de regarder ceux des autres tourner comme au manège et les voir se faire emporter par des voyageurs goguenards.

Les valoches défilent sous mes yeux les unes après les autres… Tiens, je suis vraiment dans les derniers aujourd’hui… Les rangs deviennent salement clairsemés… Vraiment dans les derniers… Bon il fout quoi ce con de sac?

Puis le tapis roulant arrête de rouler. Comment ça? Cette chose de métal fatigué et de plastique crasseux vient de retourner à sa sieste de machine intermittente. Oh bah non, et mon sac? Pas de réponse, évidemment c’est une machine. Rapide regard sur la situation: oui, oui, c’est bien moi, là au milieu de ce hall quasi désert, comme un flan, devant un mécanisme en sommeil dans lequel j’ai envie de foutre de grands coups de pied pour lui apprendre les bonnes manières. Merde non, pas ça! Rends-moi mon sac, saloperie!

Je savais que j’aurais dû rester à Mumbai, nahdine…

Allez, relax Philou, t’es en Inde. Je pars donc aviser la quidame préposée au « Customer Service » derrière son comptoir. Elle n’est pas pressée d’écouter ma sollicitation. Pas plus qu’elle ne semble inquiète lorsque je lui fais part de mon désarroi. Elle appelle son collègue. Un chef sans doute, il a un talkie-walkie et des petites lunettes, le genre à ne pas se laisser déstabiliser. Alors pensez si l’histoire de mon sac aux abonnés absents le laisse cordialement froid.

Qu’est-ce qu’il dit? Qu’il est probablement resté à Mumbai? Certes mais ce n’était pas mon idée première à la base. Il acquiesce et zou, il dégaine son téléphone de chef et passe un petit coup de bigot. Il écoute l’air pénétré. Il raccroche et le ton change. Mon sac est resté au security check, il y a des choses dangereuses à l’intérieur. (Non, pas mes couteaux quand même!) Pardon? Oui, des choses inflammables ou explosives qu’il me rétorque, bref des choses qui n’ont rien à faire dans les soutes d’un avion. J’y ai bien mis deux pauv’ petites boîtes d’allumettes, sachant qu’il était interdit d’en avoir dans mon bagage à main. Bingo! Cherche pas plus loin mon gars qu’il me sort… La vache les types ont immobilisé mon sac pour une soixantaine d’allumettes… J’ai parlé de parano un peu plus tôt, non?

J’essaie de lui expliquer le côté positivement inoffensif d’allumettes dans leurs boîtes et que ce serait sympa de sa part s’il pouvait faire en sorte que je puisse récupérer mon sac, j’y ai ma vie pour au moins un an. Et là, le type, tout faraud derrière ses lunettes rouges et son mètre-soixante-cinq, me sort que je dois aller moi-même le récupérer à Mumbai. Comme ça, à l’aise le type… Mec, tu crois vraiment que je vais retourner à Mumbai? Tu payes le billet?

Non, il préfère ne pas payer son billet, il rappelle ses copains et me dit que finalement mon sac arrivera demain matin. Autant vous dire que le temps indien vaut le temps africain. Mon sac est bien arrivé le lendemain mais dans l’après-midi. J’ai perdu quatre heures de ma vie à faire l’aller-retour à l’aéroport. La journée était de toute façon foutue vu les torrents de flotte qui sont tombés. Tout ça pour retrouver mes allumettes. Ça valait le coup de l’immobiliser au sol, tiens.

Maintenant (surlendemain de mon arrivée) il me faut une carte SIM indienne. Louiza, de la réception de l’auberge, me dit que Idea ou Airtel se valent. Elle m’écrit son nom complet et son numéro de téléphone sur une carte de visite, j’en aurai besoin apparemment.

La première échoppe que je croise est pour Idea. L’air conditionné fonctionne à mort, il fait un froid de gueux là-dedans, faut dire que la chaleur à l’extérieur est lourde et collante. Un genre de réceptionniste m’explique la vie. Photocopie du passeport, photocopie de photo d’identité, blabla. Non, il ne peuvent pas le faire ici. Et ma carte sera active sous cinq jours. Cinq jours? Cinq jours! Eh bien, à plus tard, alors…

Allons voir la concurrence. Ah, eux, ils font les photocopies eux-mêmes, bon point pour Airtel. C’est un petit gros frisé et luisant, une tête à la Luis Guzman, qui s’est dévoué pour s’occuper de moi. Ils étaient quatre à ne rien foutre là-dedans mais ils avaient tous envie de prolonger le plaisir, alors ils se sont refourgués la patate chaude les uns après les autres. Passons…

le type a besoin d’un numéro indien pour lui envoyer un code par texto afin d’activer ma carte. Paf, je sors le numéro de Louiza. Je subis alors un interrogatoire en règle. Qui elle est, d’où elle vient, où est-ce qu’elle travaille. Mec, je viens de te filer une carte de visite.  Il entend bien mais il n’y a pas le code postal; il me demande de l’appeler. Hé gros malin, si je suis ici c’est que je ne peux appeler personne. Je l’invite à appeler Louiza, ce serait peut-être plus simple. Non, non, je dois retraverser la ville sous une pluie féroce et revenir. Sérieux? Palabres, ça prend cinq minutes de le convaincre, il finit par le faire. Eh oui mais non, il fait le difficile: d’accord il a son code postal mais il lui faut maintenant un autre numéro. Il m’invite une fois encore à retourner à l’auberge (même autre bout de la ville, même pluie frénétique) afin que ses attentes soient satisfaites.

Et encore des palabres. Bordel, vous êtes totalement parano par ici! Pourquoi il te faut un deuxième numéro? Pour renvoyer un deuxième code de mes deux pour gnagnagni, pardi! Et sur le même numéro, ce n’est pas possible? Gnagnagni, le type parle hyper vite avec son accent indien, j’ai du mal à suivre. Bref, ce n’est pas possible et c’est catégorique… Bon, et je peux sortir dans la rue, aborder un type, lui demander d’être mon pote pour dix minutes et gratter son numéro? Gnagnagni, ça ne marche pas comme ça. Alors, ça fait bien vingt minutes qu’on ferraille toi et moi, on est devenus copains, non? Tu pourrais me donner le tien? Ça ne l’emballe pas non plus.

Boooooon, relax Philou, t'es en Inde.

Mec, en Afrique, ça me prenait dix minutes pour avoir un numéro. Ici, en Inde, le pays des télécommunications, ça m’a déjà pris une matinée et ce n'est pas terminé. Ah, le fait que ces sous-développés d’africains soient plus efficaces que lui le font tiquer. On oublie d’un coup le deuxième numéro. Il fait son taf et me dit d’attendre deux heures afin d’activer ma carte. Eh ben voilà, tu vois quand tu veux…

Bon, deux heures après, ça ne marchait pas bien sûr, ni même trois heures après… Je me suis donc repayé un petit tour à la boutique, pour endosser une nouvelle fois mon costume de patate chaude. Le petit frisé a déjà donné et joue l’affairé, le grand dadais gominé se donne un air trop important et désabusé pour s’occuper de ça, la petite malingre doit prétexter que ce n’est pas de son ressort, reste une grande mal bâtie qui règlera la question à reculons, façon gosse de huit ans forcé de débarrasser deux verres après le repas. Hé les gars, vous faites un concours avec la France ou quoi? Vous pouvez arrêter de jouer, vous êtes largement devant, je vous l’assure.

Alors, j’ai récupéré mon sac, j’ai du réseau, c’est bien l’essentiel. Je vais pouvoir partir à la découverte de l’Inde… Il faudra d’abord composer ses déplacements en fonction de la mousson, comprendre comment fonctionnent les liaisons entre les villes, regretter de ne pas être polytechnicien pour déchiffrer les grilles des horaires de train, mais c’est encore une autre histoire.

Relax Philou, t'es en Inde!