Il fallait bien que je sois déçu un moment ou un autre.

A peine arrivé, j’ai senti la pression du lieu. Une moto m’avait déposé à Ramiro, quelques kilomètres après la frontière. De là, un bus m’emmènerait à Kigali. Il est là ce bus mais il est vide et je commence à maîtriser les pratiques. J’ai donc largement le temps de m’en griller une petite. Je l’allume et les cinq types présents sur place me fixent aussitôt d’une façon assez étroite. Ce n’est ni de la curiosité ni de l’étonnement. C’est nettement plus fouine que ça. Ils attendent, ils guettent, ils ricanent d’avance, ils veulent connaître le sort de mon futur mégot, prêts à me sauter à la gorge.

Ne vous fatiguez pas les gars! Les copains du Burundi m’ont prévenu. En effet, tout est clean de chez clean autour de moi. Aucun déchet ne traîne par terre, ce qui est évidemment une exception en Afrique, et ces cinq types veulent me voir envoyer ma clope au sol. Il y a au fond de leurs yeux l’attrait luisant de la dénonciation. Hahaha, ne vous fatiguez pas je vous dis! Cette gueule qu’ils ont tiré lorsque j’écrasai ma sèche et l’enveloppai dans un papier qui finit au fond de ma poche. Ambiance.

Kigali. Voilà une surprenante ville. Moderne, d’orgueilleuses tours, des banques partout, de larges avenues d’une propreté suisse. J’hallucine en trouvant ce genre de ville en plein cœur du continent noir. Ce n’est pas l’arrache de Maputo, ce n’est pas Buja la bouillonnante, c’est Kigali la disciplinée. Pas un seul coup de klaxon qui claque et les automobilistes s’arrêtent pour te laisser traverser. Moi qui promène un large sourire depuis le 14 février, je tombe pour la première fois sur des gens qui le dévisagent. Moi qui salue à tour de bras le premier venu, je rencontre pour la première fois des qui hochent la tête, dédaigneux, en guise de réponse. Je suis dans une grande ville, ça doit être pour ça. Ambiance quand même.

Je réussis à rencontrer un gars tout de même. Samson a engagé la conversation dans le bus qui me conduisait à mon hôtel. Première question pour savoir d’où je viens. La deuxième fut pour connaître mon avis sur le génocide. Heuuuuuu… Il est tutsi, est né un an après la fin des massacres et semble avoir la folle envie de m’en parler. A la bonne heure, je n’ai pas pris mon costume en alpaga mais nous irons voir le mémorial de Gisozi ensemble. Sur le trajet, l’agitation d’un terminal de bus, une marchande de bananes au coin d’une rue, un repriseur anonyme retiennent son attention. Sa fierté est immense et selon lui on ne trouve ça qu’au Rwanda. Déjà, un Didier rencontré la veille au soir m’avait vanté, entre deux tentatives pour me refourguer des shillings ougandais, un rond-point ou une tour de vingt étages comme de pures inventions rwandaises ou presque. Bref, je n’ai pas pu m’empêcher de calmer les ardeurs patriotiques de ce pauvre Samson.

Ça ne l’a pas empêché de remettre ça après la visite (plutôt bouleversante) du mémorial. Eh oui, selon lui c’est le « meilleur mémorial du monde », rien que ça. Je n’ai trop rien dit, je manque de références sur le sujet mais merde mec ce n’est pas une compèt’. Je ne sais pas à quoi ressemblent Auschwitz ou Hiroshima mais je ne pense pas que de vouloir les comparer soit une idée constructive. Le génocide rwandais a été le plus efficace de l’histoire par contre. Au moins 8000 morts par jour en moyenne. Même les nazis sont des amateurs à côté. C’est limite s’il ne fanfaronnait pas là-dessus.

Quoiqu’il en soit il finit par me raconter l’histoire de ses parents autour d’un coca. Ses parents ont survécu, pas sa grande sœur hélas, morte de maladie après le génocide. Cependant l’histoire qu’il m’a racontée était bourrée d’incohérences dans son récit. L’émotion sans doute. Bref, ils ont survécu mais je n’ai pas réellement réussi à savoir comment.

Disert dès qu’il s’agissait de ses parents et d’un passé qu’il n’a pas connu, il le fut beaucoup moins quand je l’interrogeai sur le présent et le futur. Comment sont les relations aujourd’hui? Harmonieuses. A-t-il lui-même des amis hutus? Et sa petite amie, est-elle hutu? Il serpente, revient sur l’histoire du génocide et de ses géniteurs avec une version de leur fuite encore différente. J’insiste. Tout va bien au Rwanda, clame-t-il. Chacun est fier d’être rwandais (sérieux?) mais bon ses potes sont tutsis et sa nana est tutsie, faut pas déconner non plus. La situation est assurément calme au Rwanda, mais au fil de ce pays, j’ai senti chez les gens que si ça pouvait être à refaire, ça ne serait pas un cap si douloureux à franchir.

J’ai quitté Kigali et ses gens pas sympa (hormis Samson) pour Kibuye. Ah, une jolie petite route au milieu de collines dont le nombre est nettement supérieur à mille. Ce sont à peu de chose près les mêmes que l’on voit au Burundi sauf qu’ici elles sont dans un meilleur état. Les burundais déboisent massivement comme des gens qui n’ont que le feu comme moyens de cuisson et de chauffage. Au Rwanda elles sont boisées par le vert tendre et moelleux des eucalyptus, tandis qu’au Burundi elles sont marronnasses et pas tellement invitantes.

Kibuye (oooh yeah!), on se dit que les gens vont être accueillants. La grande capitale sera loin, le cadre sera idyllique, entre les collines et le lac Kivu et ses îles. Eh non, Perdu! Ici aussi les gens sont hautains, te répondent du bout des lèvres quand tu essaies d’entamer le dialogue ou leur demandes un renseignement. Mention spéciale pour ceux qui attendaient le bus avec moi le jour de mon départ. Je ne pipe rien au kinyarwanda mais je comprends d’autres langages  Ce n’était clairement plus de l’indifférence bon teint, ces gens étaient au-delà quand ils parlaient entre eux en me scrutant ouvertement. Dommage parce que l’endroit est vraiment canon. Pour l’ambiance, on repassera.

On dit que si tu es sympa les gens que tu rencontreras le seront aussi. On dit aussi que si tu es un connard fini tu ne croiseras que des types de ton espèce. Bon, je dois être devenu un trouduc en l’espace d’une semaine sans m’en rendre compte, je ne vois pas d’autre explication. Le problème est que je n’ai pas l’impression d’avoir radicalement changé en si peu de temps. Essayons Gisenyi. Là encore, une merveilleuse route. Juchée sur la crête Congo-Nil, elle surplombe le merveilleux lac Kivu. Les vues sont soufflantes à chaque virage. Et la descente vers Gisenyi est pas mal non plus. Elle se fait au-milieu de plantations de thé. La sombre cône du Nyaragongo se perd dans les nuages. Non, vraiment les paysages rwandais sont très beaux.

Gisenyi est bouclée de partout. Tout le bas de la ville est fermé à la circulation. Des grosses bagnoles de flics et de militaires en quadrillent les issues. La frontière avec la RDC et Goma sont au bout de la rue mais est-ce là une raison? Ah non, Kagame est en ville pour 48h. Et ça déconne pas avec la sécurité. Lui, un président si aimé de son peuple? Lui, un président réélu à chaque fois à coup de 97%? Craindrait-il quelque chose? A ce moment-là, je commence à devenir vraiment sarcastique avec le Rwanda: retour de monnaie. Jean-Claude, le patron du backpacker ne saisit pas mes allusions douteuses. En vérité le rwandais flippe tout ce qu’il sait dès que Kagame est évoqué. Ce que j’avais pris un premier temps pour de la jalousie de la part des burundais me sera confirmé plus tard en Ouganda. Kagame n’est vraiment pas le premier sur la déconne.

Que dire de Gisenyi? Une plage pas tellement belle au bord du lac, des villas flambardes sur la corniche, et le seul véritable point d’intérêt est la « petite barrière », le check point pour piétons entre RDC et Rwanda. Ah si, c’est l’endroit pour faire la bamboche. C’est genre le Saint-Trop’ local! Des gosses de riches de Kigali viennent là le ouikende, les congolais ainsi que les commerçants indiens ont juste la frontière à traverser pour venir claquer leurs beaux dollars.

On retiendra que c’est dans ce pays si « civilisé » par rapport à ses voisins, ce pays si rigoureux, ce pays qui se veut être la vitrine d’une Afrique qui tourne le dos à l’archaïsme, que je me suis fait gauler ma polaire. Ouais bordel! Pardonnez-moi d’être grossier mais ma polaire toute moche et toute marron… c’est vraiment le dernier larcin auquel j’aurais pu m’attendre. Ça m’apprendra à sortir fumer une clope en la laissant sur le dossier de ma chaise. Je n’en veux pas à celui qui l’a chourée, j’en veux aux africains des autres pays traversés à qui il ne viendrait jamais à l’esprit de voler quoique ce soit qui traîne.

Je me suis senti en confiance et ça m’apprendra à parler une dizaine de minutes avec des indiens de Goma. Ces indiens étaient alors en train de me dire tout le mal qu’ils pensaient de la mentalité de faux-derche des rwandais, de l’insécurité latente qui flottait dans le pays, et qu’ils se sentaient nettement mieux au Congo, notez l’ironie de la situation. J’aurais au moins eu, ce soir-là, la confirmation de mes impressions.

Il est temps de quitter ce pays, du moins de me rapprocher de la frontière. Tiens? Mon voisin dans le bus me parle? Il ne se sent pas bien peut-être? Ah non que je suis bête, il est congolais, tout s’explique. Bon allez, je donne une dernière chance au pays. Je m’arrête à Musanze. Les volcans sont à côté, deux petits lacs sont dans les alentours. Il y a peut-être moyen de s’offrir une jolie promenade. A peine débarqué, je sus qu’il ne fallait plus insister. Peut-être pour la première et seule fois en Afrique, je ne me suis pas senti en sécurité. Quand huit mecs brumeux m’entourent et commencent à mettre leurs mains sur mon épaule alors que j’achète un bête paquet de clopes, je me dis qu’il est temps de quitter ce pays foireux.

Mais la frontière est fermée depuis quelques semaines, non? Tout à fait, Kagame s’est levé un jour du mauvais pied et a décidé qu’il n’y aurait plus d’échanges frontaliers avec l’Ouganda. Le mec décide tout seul, comme ça, de saboter les liens diplomatiques historiquement forts avec son voisin où il a fait toutes ses classes. Heureusement pour ma pomme, cette interdiction ne concerne exclusivement que les citoyens rwandais. Prisonniers dans leur propre pays, c’est ballot. Ça tombe bien, y’a les travaux communautaires à accomplir, il ne manquera personne à l’appel comme ça.

Aaaah, le Rwanda, quel formidable pays, et progressiste comme on vient de le voir! On le compare, en tout cas on l’associe souvent à son voisin, son « jumeau », le Burundi. Ce sont clairement de faux frères. Le Rwanda est plus joli, pas de doute là-dessus. C’est sûr, ils ont de la thune au Rwanda et font tout pour attirer une clientèle d’élite (1500 USD pour un gorilla trek tout de même…). Au Burundi, c’est la misère absolue. Mais je n’avais jamais vu des gens aussi accueillants malgré leurs conditions. Et ils ne pètent pas plus haut que leurs culs. L’un est un petit pays, l’autre est un pays petit. Je vous laisse deviner lequel est lequel...