Allez, aujourd’hui, je suis chaud. Je sens qu’il ne peut rien m’arriver. J’ai déjoué pièges et traquenards en tout genre depuis trois jours. J’ai la peau du derche en cuir tanné. Il ne peut rien m’arriver désormais. Il y avait des fourmis mortes sur la pâtisserie que j’ai mangée ce matin? De la gnognotte!  Plus de deux heures d’attente pour choper le bus? Que dalle! Je me sens chaud, je vous dis.

Allez, bim, j’ai une bonne place qui m’attend tout à l’avant, le temps est bon, je serai à Nampula en fin d’aprèm, tranquille je vous dis, il ne peut rien m’arriver.

Bon ben, non en fait… Rien ne sera jamais gagné, j’ai l’impression. Il me reste des épreuves; le chauffeur est un fan inconditionnel de Céline Dion. Hahaha! Et ouais mon gars, tu te croyais arrivé? Tintin, mon pote, tu vas devoir te fader deux bonnes heures de Céline Dion et ses chansons en guimauve toute moisie. Et puis pas moyen de jouer aux rebelles, les gens autour de moi sont mordus, ils connaissent chacune des chansons et les fredonnent avec ferveur. Merde, me voilà fait comme un rat.

Le type est un exalté véritable. His heart will go on, qu’il doit se dire secrètement. Il roule comme un dératé, double dans les virages et aux sommets des côtes, pépouze. Le tout en conduisant d’une seule main, s’il vous plaît. Et souvent sous la pluie of course, sinon ce n’est pas drôle. On alterne entre méchantes averses et ciel dégagé. Au loin, des montagnes, souvent isolées mais nombreuses, se font avec les nuages de menaçants chapeaux. La route est de qualité, c’est toujours ça de pris.

Céline Dion s’arrête pour du Michael Jackson, époque Dangerous. Nous voilà sauvés! Heal the World, c’est mielleux mais nettement plus fréquentable que de la soupe servie par une québécoise. Et ça ne colle malheureusement que trop bien avec la pauvreté criante des patelins traversés. Avec cette chanson, le King of Pop revêt des allures de prophète dans ce décor. Mon sentimentalisme n’aura duré que peu de temps hélas, Gloria Estefan (merci Shazam!) entre en piste. En live, déchaînée, mon dieu comme mes oreilles saignent à nouveau.

Heureusement le collègue du chauffeur n’est pas d’une patience angélique. Il craque assez rapidement et coupe court à toute cette daube. Il lance un film. Clive Owen qui doit sauver un nouveau-né qu’une bande de tueurs veut supprimer pour on ne sait quelle obscure raison. Je ne sais pas combien il en dézingue mais c’est faramineux. Il en tue même avec des carottes plantées dans la gorge, fallait oser. Ce sera suivi par un buddy-movie d’ados japonais karatékas, non doublé. Merde, ils aiment bien les films où ça se bastonne sec par ici, on n'est pas loin de l’angoisse.

 Puis vers 16h, le ciel devient noir et éclate le père de tous les orages. On finira la route en roulant au pas ou presque. Nampula n’est atteinte que péniblement et à la nuit tombée. Personne n’est pressé de sortir du bus à la vue de ce qu’il tombe. On est vertement foutus dehors sous les fracas du tonnerre. Mes os sont au bord de la noyade lorsque j’ai enfin le droit de récupérer mon sac.

Un abri débusqué, rapide examen de la situation locale. On nous a donc déposés dans un faubourg de la ville, bien à perpète du centre. J’aime bien marcher mais là faudrait être passablement con. Trouver un taxi. Nuit noire, rideau de flotte, réverbères disposés avec parcimonie, impossible d’en toper un. Feuque, la partie n’est vraiment pas terminée.

Oké j’ai pigé, j’irai en ville en moto, il ne me reste que ça. Je suis déjà trempé jusqu’à la moelle, ça ne peut être que du fun en plus. Bon, le type ne connaît pas l’auberge où je veux descendre. Pas loin du musée ethnographique? Ah, il sait où c’est. Cent Meticais? Vas-y, chauffe Marcel! Évidemment, il ne me dépose pas franchement au bon endroit, n’a pas la monnaie. Il se propose de me conduire vraiment où je veux mais je dois rallonger pour ça. Sale petit escroc, je l’envoie au diable lui disant que je terminerai à pied. Il part en ricanant. Y’a de quoi, vu l’eau qui me dégouline dessus et le tour pendard qu’il m’a joué.

Dix minutes à pince, c’est quoi? Rien quand on y repense. Mais bordel, v’là ce qu’il tombe! Bien entendu, l’ampleur de l’orage a plongé Nampula dans un noir quasi complet. Plaisir que de chercher sa route entre obscurité et flaques larges et profondes comme des étangs! Bordel pourvu qu’il reste un lit de dispo à l’auberge, sinon je suis marron.

Yes, il y a toute la place que je veux. Level 4 Complete!