Un bus en provenance de Beira arrive dans même pas une heure? Joie! J’ai certes accumulé des points d’expérience ces deux derniers jours mais je n’ai pas envie de monter dans un infernal chapa et je ne sais pas quelle démoniaque surprise prépare la route…

Tud'bem, je vais pouvoir prendre mon petit-dèj en attendant tranquillou. Par contre aujourd’hui, il y a une invitée surprise, la pluie. Hahaha! T’imagines d’un seul coup la même route qu’hier sous des torrents de flotte. Il ne fait pas si chaud que ça mais tu transpires nettement. Le bus s’est pointé à peu près en même temps qu’elle.

J’avise le chauffeur au milieu d’une cohue qui croît à mesure que la pluie s’intensifie. Alors, oui je peux monter, par contre c’est dans l’allée centrale que je m’installerai, plus de siège disponible. Le chauffeur, soucieux des affaires, m’affirme que je n’ai aucun souci à me faire, des gens descendent dans cinquante bornes à peine. Tud’Bem!

Pluie battante, sans place assise, je sens que je vais bien me poiler encore. Qu’à cela ne tienne, j’aurai au moins tout le loisir de contempler le large lit du Zambèze que nous franchirons dans une quinzaine de minutes.

Véritable frontière qui coupe le Mozambique en deux, ce fleuve n’est ici traversé par un pont que depuis 2009. Avant ça, un bac. Le seul pont était alors à Tete, 400 kilomètres en amont. J’imagine même pas la mission que ce devait être. A peine la rive gauche atteinte, l’arrière du bus, respectueux de ma soif d’observation, m’invite gentiment à m’assoir par terre. C’est bon, ton spectacle est fini et ta grosse tête toute blonde est postée juste devant l’écran qui diffuse un film sur le point de commencer. Évidemment ce ne fut pas dit de la sorte, j’interprète.

Le film en question, Parker avec Jason Statham. Ça commence par un braquage dans une fête foraine. Si c’est une adaptation des romans et de la bédé éponymes, et ben c’est raté… Enfin, je ne vais pas m’appesantir là-dessus, ce n’est pas le sujet.

Les paysages étaient peut-être magnifiques, je n’ai eu vue que sur des genoux et des tongs. Et puis avec ce qui tombait, la visibilité ne devait pas excéder les cent mètres. En fait de cinquante kilomètres, il fallut en rajouter une centaine de plus pour pouvoir m’assoir de façon réglementaire, je n’étais plus à ça près depuis deux jours. Mais pour tout dire, je fus bien déçu par ce tronçon, la route était excellente de bout en bout, la pluie a fini par cesser et en à peine plus de quatre heures j’avais rallié Mocuba. Ce n’est plus ce que c’était le Mozambique!

Le temps de m’installer dans une pension miteuse de chez miteuse, d’aller observer le Lipungo qui n’a rien d’inoubliable, de constater qu’ici c’est la moto qui a la faveur des habitants et que les repriseurs sont légions. Le temps de contempler le soleil couchant en buvant une bière bien fraîche. Voilà que mes voisins de table m’invitent à prendre place parmi eux.

Ils sont toute une bande de collègues. Ils travaillent dans les mines, comme électriciens ou chaudronniers. leur mission est terminée, ils repartent lundi dans leurs pénates et puis ce soir c’est le carnaval à Mocuba. Ils ont donc envie de claquer tout leur pécule et de célébrer ça selon toutes les lois naturelles de la dignité. Ils boivent beaucoup et à bonne vitesse. Mon voisin, Virgilio, dreadlocks et visage juvénile, tient à me raconter les conditions de travail. Ça parle racisme et salaires de misère, encore et toujours. Les patrons sont des blancs Sud-Af, où qu’il ait bossé, et tu as intérêt à filer doux ajoute-t-il en substance. Un jour une bande de sept mecs a organisé une grève pour une revalorisation salariale. Menaces de mort en guise de négociations… Enfin, il a de la chance me dit-il, il n’est pas zoulou et mieux vaut ne pas l’être a priori. La liste des pressions que lui ou ses collègues ont reçu est longue comme le bras et je ne suis pas Prévert.

Puis, ces gars-là une fois partis, je rencontre Mattos, pharmacien de formation qui travaille ici depuis quatre mois à l’hôpital ainsi qu’au sein d’une association de prévention contre le sida. Le travail est immense. Dans la région, vingt pour cent de la population est touchée par le virus. La contraception n’étant pas un sport national et surtout faute de financement, il sait qu’il faut encore du temps avant que les mentalités s’adaptent définitivement face à ce fléau.

C’est avec lui que je vais aller voir à quoi ressemble le carnaval de Mocuba. Une grande esplanade où les gens affluent. Ils sont plus sapés que déguisés à vrai dire. Quelques uns ont tout de même des masques. Certains portent les mêmes tenues, shorts à paillettes et tout, groupes de danseurs sans doute. Des gargotes crachent chacune leurs sons. Ça picole pas mal. les motards de la ville circulent au milieu de tout ce bazar, roulant des mécaniques. Ça ressemble plus à une grosse fête de village qu’à un carnaval, peu importe.

Mattos, marié, trois enfants, recherche la compagnie d’une femme pour ce soir, je le sens. Il s’en défend, lui qui a dénoncé plus tôt la polygamie, quatre ou cinq cases disposées autour d’une seule étant l’application paysagère de cette pratique. Non, loin de lui cette idée. Bon, sa légitime et ses gosses sont à Beira. Il me demande quand même si je ne chercherais pas une petite pour la nuit, à tout hasard. Ma réponse négative lui déplaît. Il me dit au-revoir là-dessus.