Non pas que je fus insensible aux charmes d’Inchope mais il fallait tracer mon chemin. Direction Caia, donc. Les bus? Pas avant le milieu de l’après-midi mon gars… Ce sera donc un chapa.

Commençons par un peu de géographie. Le chapa est un mini-van, souvent de marque japonaise, accommodé à la sauce Africaine. L’avant propose deux places aux côtés du pilote, aubaine si une des deux places est libre. Tes chances augmentent de façon significative si tu es une jolie fille. Derrière, quatre banquettes. Celle du fond, la meilleure si tu es près d’une fenêtre, occupe toute la longueur, les trois autres (de deux places officiellement) ont chacune un strapontin à proposer. Enfin, un coffre famélique, tout va sous les sièges, sur le toit, les genoux, on trouvera toujours une petite place quelque part.

Inutile de préciser que s’il n’y a pas au moins quatre personnes par rangée, le chapa refuse de partir. Vous l’aurez donc compris, on retrouve toujours une victime par rangée, celui ou celle qui se retrouve assis à la jonction du strapontin et de la banquette. Pour pimenter un peu la partie du jour, j’en serai une jusqu’à Caia et je ne connais pas moyen plus rapide pour avoir mal au cul. Effet quasi immédiat.

Me voici donc posté entre deux vieux briscards, rompus à la pratique du mini-bus. Adeptes du man-spreading, ils se feraient copieusement injurier s’ils étaient dans le métro. Pas de bol ils jouent à domicile et partisans d’un pressing tout terrain, je n’ai que peu de place pour exprimer mes qualités. D’autant plus qu’ils s’endorment assez vite malgré les cahots frénétiques de la machine. Je dois me coltiner leurs poids morts une bonne partie du voyage. Défense héroïque s’il en est, chaque virage un peu brutal, heureusement nombreux pendant le trajet, me permet de me repositionner plus haut mais ils ont vite fait de tromper ma vigilance et de regagner du terrain. Ça s’écharpe plus sérieusement juste devant. Un colosse s’est retrouvé piégé comme moi et essaie de jouer de sa stature pour tasser une mère de famille et son marmot. Ça cause en xitsua probablement et ce n’est sûrement pas un échange de politesses.

En quittant Inchope, le relief s’élève. Jusqu’ici le Mozambique n’avait offert qu’une vaste étendue, savane boisée où surnagent largement maïs, manguier et anacardier, immense nappe verte proposant de maigres et vagues ondulations. On perçoit désormais des collines, inselbergs et pains de sucre. Toutes ces formes bombées dépassent au loin, comme des yeux de crocodiles sur de l’eau stagnante. Bientôt, l’imposant relief du Gorongoza dominera de sa masse la nature environnante, avant de redescendre vers la plaine du Zambèze. Vraiment dommage que ce soit inaccessible en ce moment…

Peu après le départ, on a aperçu des cantonniers qui étaient de sortie. On travaille à la rénovation du réseau, c’est plutôt une bonne idée. Quantités de branches ont été disposés sur les côtés où la chaussée a été remise à niveau. Ce doit plus dissuasif que des plots de chantiers.

« Mais là où va, on n’a pas besoin de route… » Très vite, elle cesse donc d’être. Une piste? Disons ça comme ça. Paysage de guerre à n’en point douter. Les ornières sont des tranchées, les nids de poules sont des cratères, plus de bas-côtés qui soient. On pourrait penser qu’un bombardement d’une violence rare s’est abattu par ici. C’est bien pire que la veille, à moins que ce soit mon mal de cul qui me fasse penser ainsi…

Pour définitivement agrémenter le tout, prenez un kéké comme chauffeur. Avec son pote qui porte des lunettes jaunes aux verres blancs et une nana auprès de qui il essaie de faire le beau, il conduit comme un âne. On croirait voir une bande de copains qui part en vacances. Ça regarde pas la route, ça tient rarement le volant, ça rigole. Ouais, on va se marrer!

Un gars derrière moi soupire : « Eh oui, nous ne sommes plus des humains mais des caisses de poissons… » On venait une fois de plus de racler violemment la route. Combien de crânes ont heurté le toit de la carlingue et combien de fois? « Tu arriveras toujours avant la démocratie! »  lance un autre après que nous avons manqué de finir sur un côté pour la deuxième fois. Ricanements et quolibets fusent lors des deux arrêts pour remettre en place les éléments du châssis, le pot et la roue de secours, arrachés dans des chocs sourds.

9 heures pour même pas 300 kilomètres et des kilos de poussière avalée plus tard, nous voilà à Caia. Rarement été aussi content de sortir d’une bagnole. Ici, tout le monde se déplace à vélo. Ils ont foi en leurs mollets les zigues, ils se proposent de me déposer, avec mon bordel de sac, où bon me semble. Pas la peine les copains, je n’ai qu’à traverser la rue. Bar, boîte de nuit, hôtel qui doit être borgne à l’occasion… Le Rochas Hôtel en impose, aussi bien à la vue qu'à l'ouïe. Heureusement les piaules sont à l’écart et plutôt proprettes.

Bruno, un étudiant parlant un excellent anglais, me demande comment faire pour aller en Europe. Gregorio, un quidam qui passait par là, me demande comment faire pour aller en Europe. Vasco, un musicien loqueteux, veut me placer auprès de filles, me demande de traduire en français un de ses textes et comment faire pour aller en Europe.

Putain les gars, si vous saviez…