Aller d’abord à Pambarra, tout cela semble banal. Direction le Mercado Novo d’où partent les chapas. Renseignements pris, je trouve un camion qui y va. Le sosie de Samuel L. Jackson est au volant, classe. Je monte dans la benne, où deux maigres bancs se font face, sous les regards mi curieux mi amusés des gens du coin. Le camion part presqu’à vide. Tiens? Drôle de coutume… Trois tours de ville plus tard tout est rentré dans l’ordre, on est désormais les uns sur les autres. Il est 10h30 environ, nous pouvons y aller. Formalité.

Pambarra est situé sur la EN1, the route qui part de Maputo et qui file vers le nord du pays. Village tout en longueur, alangui entre poussière, bitume et soleil. Les bus, où qu’ils aillent, s’arrêtent devant un genre de cafétaria tenue par des somaliens. Le patron, mal bâti au possible, grand dadais aux épaules tombantes et bras démesurés, trimbale sur de maigres jambes une bedaine proéminente qu’il arbore en signe extérieur de prospérité. Il veut me faire manger. Son air retors ne doit tromper que lui, j’imagine. C’est donc parti pour une bonne heure et demie d’attente, à causer avec un des employés somaliens, bleu d’ouvrier – survêt’ bleu aux couleurs de Chelsea – chaussures à boucle - grande classe. Il tient à tout prix à être mon ami sur facebook. Si ça peut lui faire plaisir, après tout ça ne coûte pas grand-chose…

Le bus arrive enfin, se gare au devant de nous et déverse des flots de gens. Je m’apprête à saisir mon barda pour charger quand le patron m’exhorte à rester tranquille. Le bus ne part pas maintenant et il n’a aucune envie que je le prive du bon argent que tous ces gentils bougres vont lui rapporter… Comme si j’avais un quelconque pouvoir là-dessus, m’enfin.

13h15, le départ est amorcé. J’ai trouvé un siège mais pas de place pour mes jambes. Le car est de construction chinoise et probablement qu’ils sont courts sur pattes. Tout va bien, elle trouveront de la place dans l’allée centrale.

Au bout de trente kilomètres, l’asphalte se disloque… Conduire nécessite ici de hautes compétences en slalom géant. L’état de la route n’implique pas de ralentir de trop, des horaires doivent être tenus un minimum, faut pas déconner non plus. La chaussée est défoncée? Pas de souci, les bas côtés sont relativement carrossables. C’est là que l’on roulera la plupart du temps. Oui mais nous ne sommes pas les seuls, l’axe est fréquenté assidûment par des camions, nombreux. Quand deux mastodontes se croisent, le sens de circulation n’importe plus vraiment : gauche, droite, milieu, on s’en contrefiche tant que ça passe. Ainsi l’un des deux doit se payer les nids de poules, non pardon, les aires de ptérodactyles pour continuer son chemin. En avant les secousses, comme disait un poète célèbre.

Être secoués comme des pruniers passe encore. Mais le bruit, il est dingue. Les suspensions, les vitres qui cognent contre leurs rails, le vieux tas de ferraille semble être engagé contre la route dans un combat sans trêve ni pitié. On se croirait dans un char d’assaut d’où tirent dans toutes les directions des centaines de mitrailleuses. Ratakatakatakataka… parfois la piste redevient route, accalmie promptement savourée, mais l’affrontement reprend très vite. Ça aura duré 300 kilomètres et 5 heures, une paille.

Inchope n’est pas un carrefour, c’est un échangeur. Située au croisement de l’axe Nord-Sud et d’un autre reliant la côte au Zimbabwe, la localité, à la tombée de la nuit, offre tous les aspects d’un coupe-gorge à ciel ouvert. Les bahuts défilent, s’arrêtent, déchargent dans un ballet incessant. Beaucoup de types maraudent en attendant de filer un coup de main à un routier ou de soutirer quelques meticais au blanc de passage. Je contemple ça, sirotant ma doz-em depuis la terrasse de l’hôtel. Le seul hôtel d’ailleurs et quel hôtel… Pequeno Brasil. Ça envoie du rêve dans tous les sens. On m’a vu arriver avec des yeux ronds et on m’a donné la chambre « VIP 1 », celle qui donne sur le parking des camions et les piles de pneus qui vont avec. Fenêtre aux quelques carreaux pétés, pas d’eau courante mais un ventilo… J’ai constaté le lendemain la gueule des autres piaules, sans fenêtre, avec des pageots auxquels il manquait des pieds. On s’était pas foutu de ma gueule tout compte fait.