De mémoire de bookie britannique, jamais une telle cote n’avait été atteinte dans l’histoire des paris. Pourtant, ils en ont vu passer, truqués ou non. Même la victoire de David contre Goliath a moins rapporté aux audacieux qui avaient tenté le coup. Même une vérité dans la bouche d’un politique ne peut atteindre de tels gains. Seule une victoire du PSG en Ligue des Champions avant le 22e siècle tient la comparaison.

L’histoire débute le 5 juin précisément. Je me trouvais alors à Masaka, Ouganda, dernière étape avant de pénétrer à nouveau en Tanzanie et venais de voir une 505 break passer dans la rue (là aussi, très grosse cote). Je fis profiter les vieux copains de cette improbable rencontre lorsque l’un d’eux, Jay pour ne pas le citer, me lâche une info en forme de délit d’initié. « Mec, Touf part en Tanzanie samedi prochain je crois. »

La rumeur dit vrai. Après vérification, Touf (Laurent pour les gens normaux) sera bien en Tanzanie du 12 au 23, en mode safari les premiers jours puis à la fraîche à Zanzibar pour terminer. Il atterrit à Moshi et ça tombe bien parce que j’ai prévu d’arriver à Arusha vers le 11. Les deux villes ne sont distantes que de 80 bornes et forment ensemble l’immonde et encombré hub touristique vers Serengeti, Ngorongoro, Kilimanjaro et tout le bazar. L’invraisemblable cote prend un peu plus forme.

12 juin. Touf vient d’atterrir et se met en route dans la foulée vers les parcs nationaux. Perso, je suis bien arrivé la veille à Arusha après un bon 13h30 de bus. Contact est pris et un déjeuner est évoqué. Dans les clandés londoniens, rien ne va plus. La tension y est plus palpable encore lorsque le guide de Touf le rembarre lorsqu’il propose de stopper à Arusha. Il est pas complètement demeuré le gars; Arusha n’est pas tellement vaste mais c’est un de ces bordels là-dedans. La circulation parisienne transposée à Orléans. Il a mieux à faire que de perdre deux heures de sa vie à traverser cette satanée ville. Bon, chacun va faire ses trucs, on se la tente à Zanzibar! Je vous dis pas l’emballement généralisé sur les bords de la Tamise après cette première tentative avortée.

22 juin. Le soleil de l’océan Indien tape avec férocité et préméditation sur les vieux édifices de Stone Town, le Old Fort étant de ceux-là. Grosse bâtisse érigée par les portugais, le raffinement n’était pas de mise pour l’occasion. Ah mais si en fait, ces coquins ont calé un amphithéâtre à l’intérieur. Ce n’est pas non plus chiadé comme à la grande époque des romains mais il y a de l’idée. Et c’est un lieu ouvert et idéal pour ne pas louper un vieux pote et lui claquer la bise.

Midi et des brouettes, je suis arrivé en avance et Touf, devenu plus africain que l’Afrique entière en dix jours à peine, est à la bourre. Je tourne en rond sous ce soleil de plomb, cherche vainement un peu d’ombre, déçoit les uns après les autres les nombreux marchands de babioles, tous ces misters, « good price » et « cheaper-cheaper » réunis. Il fallait finalement que je me pose à la buvette pour que Touf pointe les bouts de ses locks. Le basque est malin et les parieurs du monde entier sont en transe.

J’avais commandé un petit kawa pour patienter et crac, Touf qui en fait de même. A ce moment précis, ce sont les brigades de répression des fraudes du monde entier qui s’étranglent. Quoi? Comment? Deux potes de lycée qui arrivent à se retrouver à Zanzibar tournent au café et non à la bière? Même un propos censé dans la bouche de Trump paraît moins suspect. Pas de panique, on se rattrapera sur le rooftop du Swahili Hotel, après un rapide tour dans les ruelles tortueuses de la vielle ville.

Petit conseil pratique, note pour plus tard, toussa toussa:  c’est absolument reposant de se balader en Afrique avec un rasta. Tous les types de la Terre sont venus lui tenir la patte et pour la première fois depuis quatre mois j’ai pu marcher sans être constamment sollicité.

Vous pensez bien que l’on ne s’est pas arrêté là. Deux petites binouzes et puis s’en va? C’est mal nous connaître. Touf et ses deux camarades, Géraldine et Ashad puisqu’il convient de les nommer, m’embarquent dans leur special hire, direction la côte est et le resort où ils crèchent. Cossu et germanophile (consignes de sécurité écrites dans la langue de Goethe s’il vous plaît), l’endroit doit en faire rêver plus d’un. Des gens de bonne tenue, des couples essentiellement, plus ou moins vieux, visiblement friqués, dînent sagement autour d’une piscine. Un groupe de musique balance sans entrain les grooves placides d’un listening vraiment easy. Les touristes écoutent ça d’une oreille distraite en sirotant des cocktails ou du vin sud-af. Ce choc culturel après tout ce temps à courir les hôtels sans prétention! J’avoue que de contempler ce tableau vivant m’a bien fait marrer.

Il s’agissait en vérité d’aller chercher le quatrième larron de leur bande, un certain Jools. Le temps d’une bière, d’entendre Aïcha avec l’accent swahili et zou, nous filons vers le nord de l’île. Là, un autre resort nous attend, le Kwenda Rocks. « La vache, ils sont partis pour se faire la plus saugrenue des tournées de grands ducs ou quoi? » Non, on va s’arrêter là. En ce samedi 22 juin 2019, le Kwenda Rocks est ze place to be à Zanzibar. Eh ouais les copains, ce soir c’est Full Moon Party.

L’ambiance est un peu plate lorsque nous arrivons, il est encore tôt. Une gigantesque hutte, bars et dancefloor, se tient sur la plage. Un groupe de musique, nettement plus funky et motivé que l’autre, envoie suffisamment pour que des ménagères de plus de cinquante ans puissent se déhancher sans se donner chaud. Sourires sarcastiques aux lèvres, on va boire des coups calés sur des transats en attendant que la température monte un peu. Félicitons au passage les petits malins qui ont eu le flair de miser sur le fait que je croise deux britanniques rencontrées à Vilankulos, Mozambique!

Des petits blancs trop bien sapés vont et viennent, des locaux trop stylés commencent à arriver également. Le Swinging Swahili’s Band a terminé son set, place au didjé. Chaque tournée qu’on se paye est l’occasion de constater que la piste de danse se remplit doucement mais sûrement. Bien entendu, je connais par cœur chaque morceau qui passe. C’est pourtant globalement de la merde en boîte comme genre de musique, en tout cas pas mon style, mais ça fait quatre mois que je les entends en boucle, alors… Mon départ est prévu dans quatre jours et la set-list de ce soir est le parfait résumé de mon séjour. Elle résonne comme le testament phonographique de l’Afrique de l’est.

Bientôt, la hutte est pleine à craquer, les fêtards dégoulinent sur le sable. Ça danse dans tous les sens. On gratifie même l’assistance d’un « premier gaou » bien senti. Ah, enfin de la musique de qualité! Joie de courte durée pour les rares français présents, DJ Machete n’étant visiblement pas d’accord avec lui-même, il passe à autre chose en moins de deux… Tristesse…On continue de se trémousser tout de même. On retourne aux transats, on revient danser et ainsi de suite.

Puis un moment vient où la foule frise l’hystérie lorsque les maîtres de cérémonie foutent le feu à une structure métallique. Les gens massés devant crient comme des ânes, applaudissent pour on ne sait quelle raison, font des selfies en rafale. Touf et moi regardons ça d’un œil curieux. On se dit que des types vont s’amuser à faire des saltos au travers des flammes, ce qui justifierait l’engouement démesuré pour ce feu. On s’attend à du spectaculaire et pourquoi pas à un accident malheureux (qui serait bien vite circonscrit avec tout le sable qui nous entoure). Mais non, rien ne se passe. Et le feu s’éteint lentement.

La musique repart et chacun va retrouver ses dandinements là où ils les avaient laissés quelques minutes plus tôt. Touf et moi crions à l’arnaque, à juste titre d’ailleurs. Il s’agissait en fait de « Kwenda Rocks, Full Moon Party, blablabla » inséré dans la structure. Wooooha, des lettres en flamme! C’est totalement pété comme concept mais les gens sont devenus dingues en contemplant ça. Je suis probablement trop vieux pour ces conneries. Placés sur un côté, impossible pour nous-deux de prévoir l’imposture que c’était. Il fallait être en face et tu m’étonnes que nous ayons fondé de grandes espérances sur cette pyrotechnie finalement superficielle. Les lambdas auront au moins d’émus souvenirs immortalisés.

Mais qu’est-ce qu’on fait alors, après une déception pareille? D’abord, on se paye une nouvelle tournée puis on va se poser sur la plage. Là, on contemple l’horizon endormi, enveloppés par la fumée bleue des productions locales. On imagine aisément les couleurs cristalline de l’eau et immaculée du sable en plein jour. On regarde passer des types qui vont pisser les pieds dans l’océan. On devise tranquillement sur les différents sens de la vie. On se marre. On se reprend une tournée. On se marre à nouveau. Et on félicite surtout les petits chanceux qui ont misé un jour sur « Touf et Philou vont à une Full Moon Party à Zanzibar ».